«L’affaire Khalifa»: «jeux de Ponzi» ou «miroir de la société» ? (1ère Partie)
par Fouad Hakiki Economiste
« Eh bien, ma foi, cela fait tant d’années que je double (la facture), reprit le tailleur d’un ton plus bourru, que je voudrais bien toucher l’argent cette fois-ci; ça fait 2.000 £. »
- « (...) Mais ne voulez-vous pas attendre encore juste un an et que cela fasse 4.000 ? Réfléchissez combien vous seriez riche, grand Dieu ! Si vous vouliez, vous pourriez être roi ! »
- « (...) Est-ce qu’il vous faudra lui payer un jour ces 4.000 £ ? » demanda Sylvie, lorsque la porte se fut refermée sur le créancier.
- « (...) Jamais, ma fille ! lui répondit formellement le Professeur. Il continuera à doubler sa facture jusqu’à sa mort. Vois-tu, cela vaut toujours la peine d’attendre un an de plus pour obtenir deux fois plus d’argent ! »
In Lewis Carroll, « Sylvie et Bruno », cité par J.M.Keynes, « Essais de persuasion », 1931 (trad. française, 1936, pp 204-205).
Nous nous étions promis de ne plus intervenir à titre personnel; car cela avait prêté à quiproquo. Ce n’était pourtant là qu’une voix. Et non un nom - un nom pour une prébende, un nom pour poste, un nom pour une carrière. Qu’une voix algérienne. Et déjà, ce n’était pas aussi simple que cela (le « d’où l’on parle ? » ou l’état d’« autisme communicationnel » d’entre les politiques de la majorité et de l’opposition) ! Ce quiproquo n’est toujours pas levé. Mais voilà que les « scandales banquiers » occupent nos esprits. Comme autant de traumas. Pour lesquels l’on conseille comme cure: en parler. Ce que nous nous apprêtons à faire, continuant à émettre le dernier point de vue, tout aussi solitaire.
Notre ambition, dans nos interventions dans l’espace public provincial (à travers et grâce au Quotidien d’Oran - qu’il en soit ici infiniment remercié) signées en nom propre (et la dernière datait de 1996-97 !), avait été: de porter l’attention sur ce qui se dit et ne s’écrit pas. En partant des trésors du sens commun populaire, qui nous ont servi d’oeillères à nos questionnements tellement nos trajectoires sont fragiles, imprévisibles et infinis.
Dire (en définitive): ce que notre oreille ouïe, notre esprit situe quand notre destin y gît. Et aujourd’hui, il faut l’avouer: les forces de rappel sont plus fortes que la volonté individuelle.
A cette dernière, il faut du temps - cet ennemi de la persévérance, de l’audace et de la témérité - et aux premières, pour les endiguer: la patience, la persuasion et la fraternité. Aujourd’hui où la seule alternance est la paix civile, les Régents de la République veulent encore une fois se charger de l’Ordre (« dans la maison »), de l’Autorité (« dans l’édifice »), de la Décision (« dans les affaires »). C’est que: une paix sans une réelle démocratie où les challengers (de la majorité et de l’opposition) débattent publiquement au plus près du commun de nos préoccupations citoyennes: argument contre argument, projet contre projet, programme contre programme, ne peut durer qu’un temps. Les élites et la société civiles n’ont pas encore toute leur place. Et elles ne peuvent être des supplétifs. A ceux qui, à l’heure des rendez-vous décisifs, revient la responsabilité de hisser les consciences politiques. A ceux qui demandent nos voix et prétendent: savoir comment nous gouverner, savoir comment relever nos défis et savoir être à la hauteur des exigences démocratiques inscrites dans la Déclaration du 1er Novembre.
L’actuelle démocratisation à dose homéopathique - dont d’aucuns ne postulent des effets papillons sur les moeurs politiques - entraîne néanmoins des modifications. Pour réduites qu’elles soient, n’induisent-elles pas déjà des recentrages des débats publics, des nouvelles recompositions du champ politique, de nouveaux centres d’intérêt, de nouveaux défis ? Et une mue lente, indolente, oblongue de notre « société de spectacle politique » (où décideurs et acteurs s’interchangent les rôles sans dire qui est qui et qui est responsable de quoi) en une véritable classe politique dont les dirigeants (de la majorité et de l’opposition) assumeraient publiquement et individuellement le passif et l’actif de leurs actions ? Dans le contexte politique actuelle (le « ici et maintenant »), les termes du débat à ouvrir ne sont-ils pas: qu’indique politiquement « l’Affaire Khalifa » ? Que charrie politiquement l’après « l’affaire Khalifa » ? Est-ce cependant là un débat légitime ? Ou un faux débat ? Des faisceaux de voix clament en effet: les transformations actuellement nécessaires dans notre société, notre économie et nos institutions présupposent un changement de donne. Même si, comme beaucoup d’Algériens, nous ne comprenons pas à qui concrètement cette revendication est adressée, nous l’acceptons comme nôtre et, à notre corps défendant, nous allons tenter, ici, en guise de préambule - car cette revendication est structurante de nos débats publics - de présenter ses soubassements sous une optique fédératrice (une sorte de « programme commun ») afin de mieux circonscrire ce que « notre esprit situe ».
A) Comme des dunes de sable qui avancent, les forces d’inertie (et certaines « traditions » de la société, des institutions et des organisations - dont les « moeurs » de la sphère politique), bloquent le jeu politique.
Pour libérer (ou purger, c’est selon) ce jeu (et « déboucler » les moeurs politiques car il y a un passif), nous avons:
- besoin de balises qui tiennent compte des réalités, c’est-à-dire les «dunes» (les forces d’inertie) et les «galets des oueds » (les «constantes », les valeurs éthico-politiques; voir B ci-dessous);
- et de « bâtir, d’imiter, d’innover» (changement institutionnel et organisationnel et transformations politiques dont la « mue » de la société de spectacle politique; voir C ci-dessous).
Une démarche que l’on peut ramasser dans cette expression: la modernité avec les traditions (de la société, les institutions, etc. - mais, à ce propos, des nuances voire des démarcations existent dont nous ne tiendrons pas en compte ici). Une démarche donc fondamentalement réformatrice.
B) Mais: la démocratisation de la vie politique algérienne n’apparaît de nos jours qu’à travers la forclusion de la violence. Sans une réelle pacification de la vie politique (emprisonnement de journalistes, de militants politiques, syndicaux, à titre d’exemple). Or la démocratisation est avant tout « une dynamique de la participation citoyenne » (et non que des modalités de représentation démocratique: par des élus, par exemple) - une dynamique qui se traduit par l’émergence d’une «société civile».
Comme la démocratisation et la dynamique qui lui est sous-jacente ne sont qu’une face et que de l’autre, il y a: les institutions et l’Etat où ça bloque, où les « forces d’inertie » sont plus fortes, l’on doit à la fois:
i) Construire un Etat « de droit » (qui ne soit pas qu’une référence des discours politiques et qu’on ne doit pas le laisser se parer de couleurs avenantes - où l’on afficherait un respect du jeu démocratique, ce label si vital sur le plan international, alors qu’il n’en est rien);
ii) Modeler, certes, les institutions par la juridicisation - où les règlements des conflits majeurs (l’inégale, criarde et relativement illégitime répartition actuelle des patrimoines et des revenus, entre autres) par des voies pacifiques (le réexamen, par exemple, des règles juridiques de la caducité et de la prescription quadriennale - actuelles - des déclarations fiscales car la « lutte contre la corruption » passe aussi par là) sont nécessaires (pour sortir notre pays des violences à l’oeuvre - dont celles « maffieuses »)
iii) Mais cette juridicisation ne doit pas autoriser (ou servir de prétexte) à n’assimiler - en définitive - l’Etat de droit qu’à la domestication du présidentialisme avec donc (et la liste est longue, choisissons):
- une restructuration de l’Exécutif à travers la limitation du mandat présidentiel,
- et/ou le partage des rôles entre le Président de la République et le Premier ministre;
- la revalorisation structurelle et fonctionnelle du Parlement,
- l’instauration de (vrai) juge constitutionnel indépendant,
- le renforcement des organes représentatifs de la décentralisation (ou pour certains: «régionalisation»), etc.
C) Par conséquent, la démocratisation appelle:
- des processus de construction d’un régime politique démocratique (tel que décrit ci-dessus en B), dans le consensus (qui, à son tour, exigeJ),
- des trajectoires de formation J et de revalorisation (certains disent: « ouverte » sur la modernité) des normes et des valeurs (issues de nos « traditions » que l’on doit trier: en somme, Isslah et Ijtihad) appuyées sur la refondation des institutions.
C’est à ce deuxième niveau que l’opposition et une frange de la majorité innovent (par rapport à ce que, jusque-là, s’est dit en « bolitique », la politique politicienne et ses détestables moeurs où la reconnaissance d’autrui, de part et d’autre, faisait l’économie de toute référence éthique garantissant une réelle liberté de pensée et d’expression, favorisant l’esprit de tolérance et de dialogue, contribuant à propager des valeurs nobles et des comportements exemplaires). Cet infléchissement récent fait que l’on observe les engagements dans le débat monter d’un cran. Au point que tout sujet ou « dossier » - telle que « l’affaire Khalifa » - est traité (et cela est particulièrement sensible dans le contenu de nos éditorialistes) du point de vue des normes et valeurs au fondement de nos institutions. Et nous avons suivi le mouvement; ce dont témoigne ce long préambule (où nous nous interroger sur les « sources »).
L’innovation se situe dans la prise de conscience que, pour nécessaires que soient à la « construction démocratique », ces normes et valeurs, elles ne sont pas toutes déjà là (opposition) ou toutes encore là (une frange de la majorité). De toute part, la « construction démocratique » est perçue concrètement: à la fois comme des trajectoires de formation (et, nous n’avons pas trouvé de formules plus ramassées et plus didactiques):
Le Président de la République a émis le voeu (à Batna lors l’ouverture de l’année universitaire), de voir: « (...) former une élite nationale composée d’experts et de spécialistes dans les questions relatives à l’espace géostratégique (...) qui ne se contente pas de constater les changements régionaux et internationaux (...) mais s’emploie à prévoir leur avènement et à proposer les moyens susceptibles d’en prévenir les retombées négatives ».
Pour l’économiste, s’il y a une des pistes sérieuses (puisque le « dossier » existe) en ce domaine, ce serait celle que le maître d’oeuvre des Accords (tenus secrets jusqu’en 1945) dont sont issues les organisations internationales actuelles, J.M.Keynes, a ouverte: un système financier international équitable, avec un espace monétaire (EM) dont le « bancor » serait le pivot (à l’instar de ce qu’ont fait les Européens avec leur EM européen et l’euro comme pivot). Ce qui a été refusé par les Américains, sûrs de leur hégémonie sur le monde « libre » dès la fin de la 2ème GM. Préférant cette sorte de « crédit à la consommation » (que connaissent enfin les ménages algériens) qu’est le Plan Marshall au sacrifice qu’ont supporté les Allemands (et leur deutschemark) avec l’EM européen (qui a été cependant précédé, entre autres, par le marché unique européen).
Aussi, pour nous, le préalable est-il incontestablement de nous donner des règles de ciblage à notre adhésion à l’OMC et aux différents partenariats stratégiques que nous négocions. Le dilemme pour nous serait de devoir choisir entre des variables pertinentes non immédiatement observables (car portant sur l’avenir et elles sont donc incertaines) et des variables connues (où le consensus national peut être facilement atteint). Il est, bien sûr, possible de « prévenir les retombées négatives » de ces choix.
Mais ils doivent d’abord être construits dans des débats nationaux larges, et probablement reformulés après (tels que, par exemple, en économiste nous les posons, qui ne peut que « faire avec» les décisions politiques; chacun son métier !).
La notion d’élites est née au sein d’une branche de la sociologie politique, plus particulièrement de V.Pareto (m.1923) et de G.Mosca (m.1951). Dans toutes les sociétés, il y a une minorité qui dirige, concentre les richesses et le prestige, et forme donc l’élite, en vérité les élites. Elles se composent de tous ceux qui jouissent d’une position sociale élevée. Cette position sociale passe non seulement par la détention d’une fortune, d’un pouvoir ou d’un savoir, mais aussi par la reconnaissance d’autrui. Point sur lequel achoppe notre jeu démocratique !
Et voici une notion galvaudée. Dont la définition prête chez nous à tous les écueils. Avançons une signification opératoire. La société civile est: « la sphère sociale - relativement autonome des organes d’Etat et des partis politiques - constituée d’organisations, d’institutions, d’agents et de pratiques en mesure, par l’entremise d’actions et de décisions sociales variées, d’influer non seulement sur le processus décisionnel politique, mais aussi sur le cours de l’histoire d’une société globale à un moment donné ».
Dont nous avons eu à dire qu’elle est objectivement (et de longue date) à la fois une société de violence et une société de conflit où meurtres et débats, rapine et préservation des patrimoines et deniers de l’Etat - et au plan des « valeurs » et « attitudes »: viol des règles et soumission au nom du père (« dikrou » Allah et dammi chouhada), non-peur de la loi et d’obéissance à la norme universelle (« khachyou » Allah et de la sanction des hommes).
Une société où l’articulation du politique à l’économique se noue comme « problème » du rapport des modes de légitimation du pouvoir (de l’Autorité) aux modes de légitimation des patrimoines (des Droits de propriété). Ce problème « mine » le champ politique depuis notre accession à l’Indépendance. Aujourd’hui, avec les privatisations, un dénouement s’impose. Ce dernier appelle de toute évidence la construction d’un consensus (national). Difficile à atteindre. Dans l’état actuel des choses !
D’où l’importance pour l’opposition d’occuper les tribunes à l’extérieur et d’agir sur les diasporas - alors qu’une partie de la majorité envisage d’amputer une partie de ces diasporas si ce n’est de la Nation du corps des élites dirigeantes, faisant toujours aveuglement confiance aux « experts internationaux», aux « missions étrangères» et aux «aides techniques» alors que dans nos administrations centrales, un rapport s’évapore par congélation et une lettre s’égare par enchantement ! Cette innovation provient-elle de réflexions sur le partage de responsabilités lié à l’exercice gouvernemental ? Nous ne saurons le dire. Elle manifeste un gradualisme averti, où ce n’est pas uniquement par « le haut », qu’avec et grâce aux élites que les choses se font; une optique donc fondamentalement non saint-simonienne qui dénote avec les schèmes à l’oeuvre dans notre culture politique depuis au moins Messali, une culture politique fortement « inspirée » de la matrice « révolutionnaire » des réformateurs européens latins des deux derniers siècles.
L’économiste est plus sensible aux processus d’apprentissage des acteurs - le Learning by doing, y compris en politique. Sans aller jusqu’à faire une enquête, l’échantillon de ce qui se dit aujourd’hui - ce que annoncent (par exemple le Chef de l’Etat dans ses allocutions depuis mai 2006), déclarent (certains ténors de la majorité) ou écrivent (tout dernièrement le vice-président du Sénat dans El Watan) les uns et les autres - permet de décrypter un changement de ton du regard politique et de focalisation des centres d’intérêt ! « Faire un discours aux cadres de la Nation » ou « tenir des assises autour des stratégies » corroborent ce décryptage.
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